127°

Ceremony of Opposites

 

Il est un espace-temps transitoire, éphémère par essence, qui sera regardé avec curiosité et familiarité des années plus tard. Ces instants figés englués de langueur et de l’envie de tout, qui viennent composer le vecteur initial d’une future posture face à la vie, s’armer pour traverser les espaces-temps en devenir. La féminité, dans toute sa complexité, dans toute sa variabilité, dans toute sa beauté et son individualité à l’aune du groupe, s’y façonne et s’y endurcit, supportant les incertitudes et recevant les coups à l’âme dans ce temps élastique.

Au travers de cette série, Candice Cellier ne déchiffre pas les constructions empiriques et cryptiques qui conçoivent les lieux de vie des modèles. Ces juxtapositions illisibles par d’autres que le sujet elle-même sont des univers en création permanente, composés par ce mélange hautement instable de tout le poids de l’inconscient collectif familial et d’une volonté farouche d’indépendance, voire de marginalisation. Une déclinaison des cocons traduisant ici une focalisation maniaque sur ce qu’elles veulent prétendre au monde, ou là, la subtile aliénation au cadre moral local. Ce déchirement non consommé entre l’enfance et l’adulte, qui n’a de sens que pour soi.

Candice Cellier ne documente pas non plus un aspect singulier de la mutation physique ou psychologique de l’adolescence chez les adolescentes. Elle cherche ce moment où elles se libèrent du poids de leur corps en mutation et des préjugés que la société leur inculque et leur renvoie. Ce temps suspendu où elles évoluent à zéro gravité, sans tension, sans la charge d’un monde à venir et surtout à construire. Le début d’un long voyage sans retour vers l’inconnu, aux commandes, le corps s’inscrit dans cet angle de 127° entre le buste et les hanches, théorisé par la NASA, incongru et propice à une détente musculaire optimale. Une place à définir et à prendre en s’affalant sur une couche comme sur les convenances, réaction instinctive à ces bras qui se figent dans une posture inconfortable pour combler le vide et la vulnérabilité de la posture debout.

Candice Cellier cherche à capturer la résonance de l’une évoluant dans l’autre. Une facette partiale puisque incomplète mais disant la vérité d’un instant ambigu, capturé sans mise en scène et sans anecdote. Et dans cette collection de jeunes femmes, qui peut faire coïncider ses a priori aux images ? Qui même le veut ? Quelle ville ? Quel milieu social ? Quel âge ? Fille unique ?.. Peu importe. Mais toutes ont surmonté et assumé la difficulté d’offrir ces moments à soi au regard de l’autre, du positionnement vis-à-vis d’autrui.

Leur force est déjà telle.

Inspirée des recherches de Sarah Jones, Philip Lorca Di Corcia ou Bettina Rheims, en miroir des travaux de Rineke Dijkstra et Rania Matar, Candice Cellier suggère une narration dans ce moment indéfinissable d’indétermination, concentre cette vibrance de défiance dans les regards en trompe-l’œil à l’ennui constant propre à l’âge adolescent. Dans cette oscillation entre conformisme et rébellion, les postures, les vêtements, le maquillage ne figurent que comme prémices au futur statut de femme, en opposition à la condition d’enfants

 

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